Le mois dernier, nous vous avions donné quelques conseils pour entretenir votre bassin aquatique.
Il s’en est suivi un échange entre votre paysagiste et sa rédactrice :
Les aménagements extérieurs aquatiques ont-ils encore une place dans les propriétés ?
(On ne parlera pas ici de piscines hors-sol ou maçonnées, qui ne présentent que peu d’intérêt écologique)
***
Mares, bassins aquatiques, étangs, fontaines, à l’heure où l’on ne parle que de pénurie d’eau, nous nous sommes interrogés sur la pertinence d’aménager des pièces d’eau dans vos parcs et jardins.
David Legrand, votre concepteur paysagiste, a répondu sans filtre aux questions posées.
EM : Avant d’entrer dans le vif du sujet, peux-tu nous en dire plus sur la sécheresse subie actuellement ?
DL : oui, bien sûr. En fait, nous cumulons un déficit hydrique depuis l’automne 2021. Dans le Loir-et-Cher, on estime qu’il est de l’ordre de 300 mm. Habituellement, les nappes phréatiques de surface se rechargent entre novembre et février, période pendant laquelle les plantes ne prélèvent presque pas d’eau, puisqu’elles sont au repos et ne transpirent pas. Certes, il a plus cet automne, mais pas autant que nécessaire pour venir combler le déficit de ces dernières années. Même s’il pleut au printemps, cette eau est immédiatement utilisée par les végétaux qui s’en servent pour leur croissance.
EM : Dans ce contexte, est-il légitime de continuer à installer des éléments paysagers aquatiques ?
DL : Je dirais oui, et à plusieurs titres. Premièrement, on n’a jamais conçu de jardins sans eau. Les 1ers jardins de Babylone, en Mésopotamie, avaient une vocation avant tout vivrière. On a donc créé tout un réseau d’adduction d’eau pour faire pousser les cultures. Dans les pays secs, on fait en sorte de trouver des solutions pour que les jardins soient alimentés. Par exemple, à Rabat, au Maroc, toutes les pelouses sont arrosées grâce aux eaux issues des stations d’épuration. L’eau n’est pas potable, mais est réutilisée pour les espaces verts. Deuxièmement, l’eau apporte de l’apaisement. Il est bénéfique pour l’être humain : entendre un ruissellement, voir le liquide s’écouler procure des sensations de bien-être. L’attirance pour l’eau est flagrante chez les enfants. S’ils voient une fontaine, ils s’en approcheront immédiatement et ne résisteront pas à se tremper dedans. Même si les adultes ont plus de retenue, les mares ou les bassins font partie des éléments structurants près desquels on aime passer du temps, comme une terrasse ou un abri de jardin.
EM : Mis à part le côté structurant de ses espaces extérieurs, est-ce que ça présente vraiment un intérêt pour la biodiversité ?
DL : Bien entendu. L’eau, c’est la source de la vie ! Elle permet à toute une faune de venir s’hydrater, comme les oiseaux et les insectes pollinisateurs. Cela va les attirer et donc permettre à d’autres espèces de la chaîne alimentaire de venir coloniser des milieux à proximité. En plus, les mares, étangs et bassins sont des écosystèmes propices à la sauvegarde de certaines espèces telles que les batraciens (grenouilles, crapauds, salamandres, tritons), qui sont désormais considérés comme des espèces menacées et protégées (Arrêté du 8 janvier 2021). En outre, c’est toute une flore particulière qui se développe dans ces milieux.
Enfin, dans les principes de la permaculture, il est démontré qu’un point d’eau installé à proximité de son jardin potager ou de son verger va avoir un impact bénéfique sur la pollinisation et la croissance des végétaux pour les denrées comestibles.
EM : Maintenant que la question de la légitimité a été abordée, comment faire pour alimenter ces installations, alors même qu’on nous demande de restreindre notre consommation d’eau ?
DL : La première chose à faire est d’identifier la capacité de récupération des eaux pouvant être collectées et stockées. Nous mesurons d’abord la superficie des voiries, allées, toitures pour étudier la capacité du volume pouvant être potentiellement récolté par les eaux pluviales. Ensuite, nous effectuons un parallèle avec les indicateurs de pluviométrie locale pour nous assurer que l’aménagement sera suffisamment alimenté. Ensuite, plusieurs solutions existent pour faire converger l’eau dans sa direction (terrassement, création de baissières, drains, caniveaux, etc.).
EM : Justement, est-ce qu’on ne risque pas de déséquilibrer les cours d’eau si on capte l’eau pluviale en amont ?
DL : ce sont des questions qui se posent de plus en plus, mais il faut savoir déjà qu’une grande partie des eaux pluviales finissent dans les stations d’épuration et ne reviennent que très tard dans le cycle naturel, souvent dans les rivières et les fleuves. Ensuite, il faut trouver un juste milieu. Faire converger l’eau lentement vers une mare, c’est conserver une humidité tout autour. On voit aujourd’hui combien cela va avoir un impact positif de garder des zones plus humides (fraîcheur, sols argileux qui craqueront moins lors de la sécheresse, et impact sur les maisons).
EM : Dernière question, est-ce que ça présente un intérêt, si on a juste un balcon ou une terrasse, d’installer un petit jardin flottant dans une bassine ?
DL : Tu peux (rires), mais mis à part le côté esthétique et zen, ces éléments sont tellement petits qu’ils ne présentent que peu d’intérêt pour la faune et la flore. En plus, ils s’évaporent rapidement. Cela servira tout de même de mini-bar pour les oiseaux.
Interview réalisée par Émilie Marmion, rédactrice pour le compte de Paysage Comestible.