Depuis l’épidémie de Covid, on parle beaucoup de résilience, de cette capacité à encaisser des chocs, de s’y adapter pour mieux rebondir. Utilisé dans un premier temps dans un but psychologique après la crise épidémiologique, ce terme a été largement vulgarisé, quitte à être employé dans tous les domaines (industrie, secteur bancaire, management).
Il est vrai qu’en ce moment, notre monde se trouve quelque peu bousculé. On ne peut que constater l’impact du réchauffement climatique : les variations brutales de températures entraînent des événements météorologiques de plus en plus violents. Lesquels demandent à réfléchir à la manière dont on conçoit les espaces et notre rapport à la biodiversité.
Nos jardins, parcs et autres espaces verts en sont les premiers impactés, alors, comment pouvons-nous les rendre plus résilients ?
David Legrand, de Paysage Comestible, nous apporte son point de vue.
E.M : n’est-ce pas le principe même de la nature d’être résiliente ?
Bien sûr que oui ! La faune et la flore s’adaptent en permanence, même si c’est plus facile pour certaines espèces par rapport à d’autres. Tu parlais à l’instant de la Covid, le meilleur exemple a été pendant les confinements : au bout de deux mois, on a pu observer que la nature reprenait complètement ses droits sur des espaces qui étaient complètement exploités par l’espèce humaine. Laisse un sol à nu, il va se repeupler tout seul au bout de quelques semaines, peut-être avec des espèces différentes d’avant.
E.M : alors pourquoi, on parle aujourd’hui d’aménager des espaces résilients ?
En fait, on a longtemps considéré le métier de paysagiste ou tous les métiers faisant référence au jardinage, uniquement par le prisme de l’esthétique. On nous dit souvent : « vous avez un beau métier », c’est une remarque qui m’interroge. OK, on aménage des massifs, des jardins pour qu’avant tout ce soit beau, pour mettre en avant la nature. Mais en fait, on utilise beaucoup de matériels thermiques qui polluent, on fait venir des plantes exotiques parce que c’est la mode, on ajoute des galets partout qui participent aux puits de chaleur. À partir de là, j’ai commencé à m’interroger sur le sens de ce qu’on faisait. L’être humain fait partie d’un écosystème, je pense qu’il va falloir de plus en plus être vigilant à associer nos besoins à ceux de l’environnement et moins vouloir dompter la nature.
E.M : dans ce cas, comment pouvons-nous accompagner nos jardins au réchauffement climatique ? Faut-il planter dès à présent, des végétaux résistants à la chaleur ?
Oui et non, c’est tout le dilemme entre sauvegarder des espèces locales et introduire des variétés plus résistantes. Je trouve que ce serait dommage de sacrifier tous les végétaux de climat tempéré actuels pour des espèces méditerranéennes de type oliviers, orangers et cactées. Il est vrai que si tu gardes des graines de pommier pour le planter dans cent ans, il y a de grandes chances pour que ton arbre ne se développe pas. Il y a certains arbres dont on est à peu près sûrs qu’ils ne survivront pas, comme le bouleau. Pour d’autres c’est différent, le chêne vert a plus de chance de s’adapter par rapport au chêne commun. Beaucoup d’expérimentations sont en cours, laissons le temps, il ne faut pas aller trop vite sur la transformation des palettes végétales. Il faut voir comment la nature a cette capacité à s’adapter.
E.M : comment peut-on agir pour favoriser la résilience ?
On peut influencer en recréant de la vie et en aménageant des milieux plus respectueux de l’environnement. Par exemple, si on crée une mare, ça va faire venir des grenouilles, des tritons, des insectes, d’autres petits animaux viendront. L’écosystème sera plus riche et ça s’en ressentira sur la production du jardin potager, des vergers, mais aussi la résistance des végétaux. Dès le moment de la conception, il faut penser aussi au devenir du jardin et à son entretien pour que les déchets deviennent des produits. C’est installer plusieurs composts, créer des haies sèches avec les branchages qui serviront à accueillir des petits animaux et insectes. Enfin, c’est pareil pour l’eau, ce n’est pas parce qu’on a des périodes de sécheresse que l’apport en eau doit être prohibé, on peut davantage la stocker et je crois beaucoup en la domotique qui permet de réguler. La technologie peut aider notre jardin à être plus résilient, c’est à nous, jardiniers-paysagistes, d’adapter nos pratiques et nos approches en matière d’aménagement et non à la nature de s’adapter à notre mode de vie.
Propos recueillis par Émilie Marmion